Thématique
6 décembre 2024

Ep. 2 : La Finance au service du Développement Durable

Cette série de trois articles vise à identifier les enjeux clés de transformation du monde de la finance pour qu’il joue pleinement son rôle de soutien au développement durable de notre société.

Une Europe qui se veut exemplaire en lançant son Pacte vert

Lors du précédent article, nous avons pu voir que le développement durable était une ambition portée par la communauté internationale et notamment par l’ONU, mais qu’en est-il de l’Europe ?

La commission européenne s’est emparée du sujet dès 2019 en lançant son pacte vert ou green deal. Il s’agit d’un ensemble d’actions visant à aligner les politiques et législations de l’Union Européenne sur un objectif de réduction des émissions d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 (« Fit for 55 »). En réalité, le pacte vert embarque de nombreux sujets qui vont au-delà de la question du climat : plan d’action en faveur de l’économie circulaire, initiative « de la ferme à la table » pour bâtir un système alimentaire respectueux de l’environnement, plan pour la biodiversité … Il se structure autour de 8 objectifs ambitieux présentés ci-dessous :

Source : Commission Européenne

L’objectif « financer la transition » se décline en 2 sous-objectifs :

  • Le premier consiste à consacrer une part significative du budget européen aux investissements verts : plus de 1.000 Mds d’euros de financements sur 10 ans, en dédiant environ 30% du budget 2021–2030 et des financements de relance suite au COVID à des investissements verts.
  • Le second vise à construire un secteur financier européen durable.

Pour la Commission Européenne, la nouvelle stratégie pour la finance durable en Europe qui résulte du second objectif doit s’appuyer sur un langage commun aux entreprises et au secteur financier, une taxonomie définissant les activités à caractère durable (cf schéma ci-dessous).

La taxonomie permet de déterminer le poids des dépenses d’investissement (CAPEX) et des dépenses d’exploitation (OPEX) des activités incluses dans la taxonomie, en pourcentage du Chiffre d’affaires. Cette information doit être publiée et auditée depuis 2022. Une étude menée en octobre 2023 par l’AEMF (Autorité Européenne des Marchés financiers) montre qu’en moyenne la proportion d’activités conformes est de 17,3% … Mais en réalité, ce chiffre varie énormément d’un secteur à l’autre et d’une entreprise à l’autre. On dispose en tout cas avec cet outil d’une base commune entre le monde de l’entreprise et le monde de la finance, sur laquelle s’appuie l’ensemble du dispositif déployé en Europe : marchés de green loans et green bonds, évolution du Reporting des entreprises (CSRD), évolution du Reporting des acteurs financiers (SFDR), labellisation …

Un pilier fondamental : l’évolution du Reporting des entreprises vers la prise en compte de la double matérialité

L’année 2024 marque un moment clé, celui du déploiement d’un nouveau Reporting pour les entreprises, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui présente les particularités suivantes :

  • Il s’applique à beaucoup plus d’entreprises que le Reporting de durabilité actuel (au niveau européen, on passe de 11.700 sociétés soumises à la NFRD (Non Financial Reporting Directive) à 50.000 entreprises couvertes par la CSRD).
  • Il élargit et normalise le contenu du Reporting sur les risques, opportunités et impacts RSE, en se basant sur des normes européennes harmonisées (22 normes ESRS « tout-secteur » déjà publiées qui seront complétées par des normes par secteur et pour les PME).
  • Il est l’occasion du déploiement d’un format digital imposé (xHTML).
  • Il intègre des exigences d’audit sur les données RSE.
  • Il est basé sur le principe de la « double matérialité ».
  • Il fera l’objet d’un déploiement progressif (grandes entreprises d’abord), à compter du 1er janvier 2024, sur l’exercice 2024, et donc avec une première publication début 2025.

Le principe de la « double matérialité » est la pierre angulaire de la CSRD, et ce qui la différencie des normes du monde anglo-saxon évoquées dans notre premier article. L’idée est de tenir compte à la fois de l’effet des enjeux de durabilité sur la performance financière de l’entreprise (matérialité financière prise en compte aussi par les IFRS), mais aussi dans l’autre sens d’intégrer les impacts de l’entreprise sur son environnement (matérialité d’impact, par exemple sur le climat au travers des émissions de GES). Le point clé de toute démarche d’implémentation de ce Reporting est de réaliser une analyse de matérialité, s’appuyant le plus possible sur des indicateurs quantitatifs et des données scientifiques.

Cette démarche est donc particulièrement exigeante, elle est ambitieuse et il faudra du temps pour la mettre en œuvre, mais quitte à transformer le Reporting, l’Europe a résolument choisi la seule option de nature à aligner les entreprises dans les meilleurs délais sur ses objectifs de neutralité carbone.

Le secteur financier en première ligne : vers une nouvelle approche de la performance financière et des risques

Les acteurs financiers ne sont pas en reste : en réalité, ils ont été les premiers à devoir s’adapter à la nouvelle donne européenne avec l’entrée en vigueur du SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) le 10 mars 2021. Ce règlement avait pour objectif de donner plus de transparence aux investisseurs, notamment sur l’ensemble des risques en matière de durabilité et les principales incidences négatives. Il permet de caractériser les produits financiers en 3 familles principales :

  • Article 6 pour les produits qui intègrent des considérations ESG.
  • Article 8 pour les produits qui permettent en plus de contribuer à des investissements durables.
  • Article 9 pour les produits qui ont pour objectif principal l’investissement durable.

Le SFDR a montré ses limites du fait notamment qu’il ait été conçu avant la prise d’effet du règlement taxonomie. Le besoin d’un label européen solide permettant de combattre le greenwashing conduit aujourd’hui la commission européenne à réviser le SFDR, qui pourra s’appuyer désormais sur la taxonomie et le CSRD (des consultations ont eu lieu en 2023).

Le sujet de la transparence au travers des évolutions du Reporting, tant au niveau des entreprises que des produits financiers, avance donc bon train : pour autant, est-ce suffisant ? Sans ouvrir à nouveau le débat relatif aux incitations émanant du politique au travers du prix du carbone, on voit bien qu’il manque au niveau du secteur financier une traduction des impacts RSE dans les mécanismes d’allocation des ressources financières. Un levier puissant qui commence à être travaillé est celui du coût du capital pour les banques et assurances, ce qui passe par des actions fortes des banques centrales et superviseurs. Depuis 2022, des séries de stress-tests climatiques ont été effectués tant par la BCE que par l’ACPR qui montrent un niveau de préparation insuffisant des acteurs financiers, et ouvre la porte à des allocations de capital additionnel face à ces risques. Un levier à manier néanmoins avec précaution en Europe pour éviter toute distorsion de concurrence avec le monde anglo-saxon.

Nous verrons dans un prochain et dernier article comment le secteur financier se prépare à ces nouveaux enjeux, et quelles sont les démarches les plus pertinentes.

Article rédigé par Isabelle SIPMA, Administrateur Indépendant, Senior Advisor Tech & Secteur financier (Banque et Assurance).